éditions Lignes | 2009

Le commerce des charmes

en coédition avec Le CentQuatre


Le Commerce des charmes est un texte à plusieurs voix qui s’applique à décrire les contours d’un monde dédié à un « Commerce » d’un genre nouveau. Initialement pensé comme une pièce sonore, il constitue également une expérimentation formelle pour rendre au « roman » l’ensemble de ses moyens et l’intégralité de son ambition, comme représentation possible du monde.
Car ce qui s’échange et se négocie, dans ce quartier de Paris qui, aussi bien qu’un autre, sert de trame matérielle au texte, ce n’est plus simplement telle ou telle « matière » (alimentaire ou non), mais bien les illusions du monde.

Le « genre » du présent texte est en lui-même particulier : la très large catégorie du roman doit certes pouvoir l’accueillir ; celles du document ou de l’essai, aussi bien. Nous l’appellerons cependant « roman », parce que c’est bien à une tentative de « production » d’une réalité que s’attache Jean-Paul Curnier, en faisant appel à tous les moyens utiles (des moyens littéraires doublés d’enregistrements de sons bruts – escalators, métro, foules – dans la version scénique du Commerce des charmes) : textes rapportés des e-mails d’escrocs en ligne, ici proposés comme « survivance de la littérature populaire » ; descriptions de moments de solitude existentielle (et des états de pensée induits) ; développements théoriques sur le devenir d’un monde à l’injustice et à l’extrême violence géopolitique désormais routinières.

De la routine de ce monde-là, de la banalité de l’injustice faite à la très grande majorité de sa population avec l’assentiment mi-ensommeillé (quand il n’est pas simplement intéressé) de sa minorité dominante, il s’agit de briser le confort trop tranquille. En un mot : de refuser de s’en rendre complice, en aucune manière.

Or cette question n’est pas sans rapport avec celle des représentations possibles de la réalité du monde : la part des puissants (les agents du Commerce des charmes) est aussi celle qui, précisément, prétend confisquer les moyens de produire ces représentations. Représentations plates, prosaïquement échangistes (dans tous les sens du terme), dénuées de toute teneur véritable et cependant revêtue de tous les atours du désir (« la “pureté” de l’enfance, l’innocence, la compassion, l’insouciance de la jeunesse, la morale, l’équité, la sympathie pour les démunis, le respect de l’homme, de la terre, de la vie, du travail… »).

De la juxtaposition des éléments documentaires, de pensée et de formes ici réunis résulte le constat (politique) suivant : la disparition de ce que l’on a pu nommer « peuple » (mot que l’on ne prononce ou n’écrit plus qu’avec une sorte de honte) provoque un manque particulier, une solitude et une peur qui sont les meilleurs complices de la soumission de chacun au Nouveau Commerce et à ses représentants. De cela il résulte que c’est isolément et sous la forme du délire isolé, de l’absence de mise en commun que chacun vit le monde désormais.

Pour autant, le délire, ce n’est pas l’état pathologique (familial) d’un seul, expliquait Deleuze, mais une chose en partage que certains expriment quand d’autres le compriment : l’individu « délire le monde ». Le Commerce des charmes est un délire-monde, la saine folie qu’un seul (auteur, ou lecteur), oppose à la déraison de tous.

édition Lignes

Le Commerce Des Charmes

Extraits

avant-propos

« Le principe conducteur est celui de l’abolition – ou en tout cas de la détérioration – du point de vue unique tel que l’imposent les formes narratives (fiction, récit, théorie, pamphlet, dissertation) et tel qu’il occupe les questions de la narration depuis la deuxième moitié du xixe siècle. Tel aussi qu’il s’est imposé et s’impose toujours plus désormais dans la construction des opinions jusqu’à passer pour l’expression de la réalité elle-même. »

Persistance de la littérature populaire

« Bonjour Mon Cher,
En Effet Je suis Fatumata Koulibali la fille du défunt de M. et Mme Koulibali Mon père était un négociateur de cacao et exploitant d’or à Abidjan la capital économique de la Côte d’Ivoire, mon père a été empoisonné à la pénurie par ses associés d’affaires sur une de leurs promenades en voyage d’affaires. Ma mère est morte quand j’avais 12 ans ( 1992) et depuis lors mon père m’a prise a sa charge . Après la mort de mon père en novembre 2005 à l’hôpital privé a Abidjan, courant décembre , j’ai reçu un courrier d’un notaire m’invitant à me présenter à son cabinet. Ce que j’ai fait. Il m’a remis ledit courrier contenant un certificat de dépôt et une lettre. Sur le certificat de dépôt, il est marqué biens de famille. Dans la lettre qu’il m’a adressée, il m’a fait savoir que le certificat de dépôt me servirait à retirer dans une compagnie de sécurité une (01) malles contenant en réalité huit millions de Dollars ($8.000.000 ).[…] »

Substance

« Plus de spectacle, donc, plus de mystification, plus d’artifices et plus de masques : le système de domination marchande a triomphé sur toute la planète et, à présent, il veut être aimé pour ce qu’il est, c’est-à-dire nu. Il voudrait comme tout conquérant ce signe-là de sa victoire. Il veut devenir visible, jusqu’à ce qu’on ne voie plus que lui pour être aimé tel qu’il est. Et ce système ne peut plus être dissocié de ses agents, car ils sont ses créatures. Ses créatures en demande de reconnaissance et d’amour. »