Lignes | 2006
À VIF
ARTAUD, NIETZSCHE, BATAILLE, SADE, KLOSSOWSKI, PASOLINI
« On ne saurait nier que l’humanité présente a égaré le secret de se faire à soi-même un visage où elle pût reconnaître la splendeur qui lui appartient. »
G. Bataille, La Part maudite
À Vif : sous ce titre, ce sont autant d’avancées dans ce qui passait pour impensable, inouï, scandaleux ou impossible à formuler, qui sont rassemblées. Il ne s’agit donc pas de portraits d’écrivains ou de penseurs mais de portraits, si ce terme convient encore ici, d’autant de pensées arrachées aux limites du pensable, avec ce qu’un tel engagement dans la recherche d’une vérité de l’homme a de terrible et d’immense pour chacun des auteurs ici considérés ; avec en somme pour chacun d’entre eux, l’écriture ou la pensée comme inséparable d’un destin, se faisant destin.
La seule lecture de cette liste de nom (Artaud, Nietzsche, Bataille, Sade, Klossowski, Pasolini) évoque d’abord ceci : un accord absolu des gestes, de l’orientation et de la conclusion de l’existence avec l’intransigeance employée à formuler ce devant quoi la pensée renonce habituellement.
L’impossible qui les unit se tient là, précisément : en ce lieu où ce ne sont pas les concepts ou les mots qui manquent, mais où la plupart des hommes reculent d’effroi devant ce que l’esprit s’apprête à admettre. Ce que l’on trouvera dans ce livre, c’est la saisie des dépassements décisifs et jusqu’alors impensables de ce point en deçà duquel la pensée s’était tenue. Du point où la pensée fait peur, point au-delà duquel écrire est un engagement de soi dans l’inconnu, dans la plénitude et dans l’effroi.
L’impossible vers quoi tous ont tendu, et dans lequel, chacun à sa manière a jeté son existence, c’est aussi celui, frontalement politique, qui a consisté (au risque du malentendu le plus profond et du rejet le plus humiliant) à condamner sans nuances le modernisme, et avec lui le progrès.
Cela au nom d’une exigence qui, bien que teintée d’une inévitable nostalgie, affirme la possibilité d’une autre vision du devenir commun.